Petite nouvelle Chtulienne !

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Bob Fortune
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Petite nouvelle Chtulienne !

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Medford, en plein été, c'est la canicule.
Construite par les colons au cours du dernier siècle, la ville se trouve au coeur d'une cuvette, dans la vallée de la Rogue River. En plein soleil, c'est à dire pendant les mois de juillet et d'août, l'eau de la rivière s'évapore considérablement. Faisant même baisser le niveau de l'eau jusqu'à atteindre et même dépasser le seuil critique de l'eau nécessaire à l'irrigation des cultures de la Vallée. Les nuages formés par l'évaporation de l'eau se retrouvent en grande majorité bloqués. Bloqués par l'absence de vent.
En effet la chaîne côtière et les Klamath Falls empêchent les vents de passer par l'Est et par l'Ouest. Le seul passage de vent ne peut se faire que dans le sens Nord-Sud, limitant énormément la ventilation de cette vallée.
Quoiqu'il en soit, en plein mois d'août, l'accumulation de ces nuages au-dessus de Medford provoque une chaleur dite tropicale, qui colle à la peau. Une mauvaise chaleur comme aiment à l'appeler les vieux fermiers qui, à l'approche de l'été, se réfugient sous l'auvent de leur véranda en pestant tous les diables contre leurs chemises qui poissent et dégoulinent de sueur. C'est dans ces dispositions atmosphériques que les conditions terrestres se dégradent en suivant le cours de la vague de chaleur. Celle-ci entraîne fatalement une vague de malaise parmi les hommes.
Certains préfèrent la fuite et partent en vacance le temps de laisser cette chaleur poisseuse passer sur la vallée et repartir. Ils vont là où il fait plus frais, vers la côte, et même vers la Californie. Mais peu ont réellement le choix et la possibilité de s'évader de cet enfer. Et malheureusement ce malaise étouffant entraîne deux sortes de réactions malsaines chez l'être humain: soit une léthargie, des réactions amorphes et une somnolence quasi symptomatique, soit dans le pire des cas, des réactions de violence incontrôlées et des cas de meurtres collectifs d'une rare barbarie.
Il est à noter qu'au cours de ces mois là les deux vont de pair. Comme l'histoire du loup dans la bergerie. Les citadins sont des moutons qui essayent de survivre à ces deux mois d'enfer. Et de temps en temps un de ces moutons se transforme, sous l'effet de la température malsaine, en un monstrueux loup fou furieux et avide du sang de ces congénères.
Et il se retourne contre ces amis, ces voisins, ... et même contre sa propre famille.
Certains vous diront que le taux de criminalité n'augmente pas significativement au cours de ce laps de temps dans Medford et ces environs. Mais ceux-là sont ceux qui y habitent et, dès la fin de l'été, les moutons redeviennent des êtres humains normaux. Et ils oublient vite ce qu'ils ont vu ou entendu au cours de l'été pendant leur semi-somnolence.
Ce n'est pas vraiment un oubli volontaire.
C'est comme ça, c'est tout.
C'est Medford...

C'est peut-être pour ça que le pénitencier d'état se trouve à Medford. Peut-être aussi n'y-a-t-il aucun rapport.
Mais enfin c'est là qu'il se trouve et, par une mystérieuse coïncidence, il s'agit d'un des meilleurs au point de vue de la sécurité..., et de la mortalité parmi les détenus.
Il s'agit aussi d'un des meilleurs au niveau des tentatives d'évasion. Lui non plus n'échappe pas à la chape pesante de chaleur qui s'abat au cours de l'été. Et les prisonniers y réagissent aussi mal que les citadins de Medford, peut-être même pire. C'est pour cela que les tentatives d'évasion se multiplient au cours de l'été.
Les prisonniers veulent échapper au malaise. Mais ceux sont déjà des loups assoiffés de sang. La transformation est donc beaucoup plus rapide pour eux que pour un citoyen ordinaire. C'est comme le bâton et la carotte. La carotte, c'est la liberté; le bâton, c'est la brûlure du soleil et surtout l'humidité stagnante qui s'infiltre partout et pourrit tout ce qu'elle touche. L'homme n'est pas fait pour résister à une telle pression. Certains, une minorité, se renferment sur eux-mêmes dans leur coquille pour résister. Les autres laissent exploser leur malaise en bagarre de plus en plus violentes et de plus en plus mortelles au fur et à mesure que l'été oppressant s'installe parmi eux.
Jeff fait partie de cette dernière catégorie.
Il est jeune, il a 20 ans. Il est maigre, presque décharné. Un physique de vautour. Un visage grand, émacié. Les joues creuses font ressortir ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites. Deux rides qui descendent de chaque côté de son nez et entourent sa bouche le vieillissent d'au moins 10 ans. Elles soulignent, quand ça lui arrive de sourire, un rictus sournois et malsain. Ses cheveux coupés courts en brosses atténue un peu la chaleur malfaisante qui s'est vicieusement glissée en ville. Des rigoles de sueur descendent de son cuir chevelu et se regroupant courent le long de son nez, pour finalement se perdre dans la barbe naissante qui lui mange le bas du visage. Une barbe de bagnards, dirait-on; une barbe qui n'a pas plus de 2 jours, drue et épaisse. Le reste de son corps ressemble à son visage, dur et nerveux. Ses 1 mètre 90 ne sont pas imposant, car sa carrure est celle d'un fil de fer. Un fil de fer barbelé, diraient certains, car il ne tire pas sa force de sa carrure mais de muscles tendus et nerveux comme la corde d'un arc. Or il a déjà eu l'occasion à maintes reprises de s'en servir et d'en étonner plus d'un.

Jeff fait partie du cheptel du pénitencier. Enfin, il en faisait partie jusqu'à hier 23h37, heure locale. Jusqu'à ce qu'il parvienne à s'en échapper, facilement. Ca faisait longtemps qu'il y réfléchissait. Mais on ne s'échappe pas facilement du quartier haute sécurité. Surtout de celui-ci. C'est impossible. C'est ce que vous diront les meilleurs. Ceux qui ont essayé et qui sont encore là pour le raconter.
Mais il a eu de la chance.

Plus tard la suite...
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Bob Fortune
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Le 16 août, la situation n'avait fait qu'empirer. La chaleur suffocante avait déjà provoqué de nombreuses rixes dans l'enceinte de la prison. En un mois et demi, on pouvait déjà compter 20 morts 12 blessés graves et 52 cas plus légers. La prison contenait un effectif de plus de 3000 détenus. Que se passerait-il si la température provoquait l'apocalypse parmi les prisonniers? pour l'instant on n'avait pu observé que des bagarres isolées mais souvent meurtrières. Les règlements de comptes augmentaient et débordaient souvent les matons souvent aussi excités que leurs prisonniers.
C'est au cours d'une bagarre que Jeff eut sa chance, et il ne la rata pas.
Un noir d'environ 2 mètres, crâne rasé, luisant de sueur, était en train d'avaler la mixture qui lui servait de nourriture deux places à la gauche de Jeff. Quand arrivant de derrière, un gars un peu malingre trébucha et renversa son plateau sur l'épaule du noir. Sans avoir eut le temps de s'excuser le gars se retrouva en face de la montagne de muscles du noir qui venait de se lever brusquement. L'expression hébété du petit se transforma rapidement en mine horrifiée comme le géant levait les mains et enserrait son cou. Le pauvre homme eut juste le temps de poser les mains sur les avant-bras du noir, avant de sentir les doigts puissants fouiller sa gorge à la recherche du meilleur appui. Puis comme si le bruit provoqué par l'écrasement des cartilages de la trachée avait réveillé tout le monde, une bagarre collective se déclencha. En quelques secondes ce fut l'enfer.
Des armes qui quelques instants plutôt n'existaient pas, apparurent dans les mains des détenus. Des couteaux, des fourchettes, des instruments tranchants, coupants firent office avant que les matons ne puissent commencer à réagir. Jeff sut que sa chance était là. Il n'avait aucune intention de participer à la bagarre et de prendre un mauvais coup. Certains le disaient fou, mais même si c'était vrai, en tout cas il était loin d'être bête. c'est pour cela que dès les premières secondes de la bagarre, il se laissa couler doucement de sa chaise sous la table. Là, à l'abri de la fureur dégénérée et mortelle de ses pareils, il sortit un instrument effilé qui ressemblait fort à une aiguille à tricoter en métal. Déchirant sa veste d'un geste brusque, il découvrit son flanc gauche. Prenant appui de son dos sur le pied de la table, il enfonça brusquement la pointe de l'aiguille dans le gras de son flanc, loin de tout organe vital.
Et, sous la douleur qu'il n'avait pas prévu si forte, il s'évanouit.
***


Le soleil se couche derrière la chaîne côtière, la coast range. Les dernières lueurs chauffent encore le sommet du Mont Crâne qui fait partie des Klamath falls quand les lumières de la cité brillent déjà depuis un bon moment. La panorama est fantastique pour le touriste en quête de photos à ramener de vacances et à montrer à toute la famille. Ces deux chaînes parallèles composées de pics, de monts et de hauts plateaux magnifiques et si vieux pourtant semblent enchanter la vallée.
L'arrivée de la nuit peut faire croire à une promesse de clémence de la part de mère Nature. Mais malgré la baisse de température conséquente à la disparition du soleil, la chaleur humide est toujours là, présente dans les moindres recoins. Affligeant résultat de la fragilité de l'homme. Enfermés chez eux, à l'affût du moindre recoin de fraîcheur, ils recherchent la paix dans leur quasi-somnolence.
personne ne prête attention aux lourds nuages qui se rassemblent au-dessus de la vallée, assombrissant rapidement la terre qu'ils recouvrent comme des papillons de nuit collés à une ampoule. Ceux-ci en l'absence du moindre souffle de vent se rejoignent tout doucement au-dessus de la vallée de la Rogue River.
La montagne si paisible un instant auparavant devient lugubre et sordide, se renfrognant comme à l'annonce d'une mauvaise nouvelle. Comme si elle devinait que quelque chose se tramait et qu'elle aurait son rôle à jouer avant la fin de la nuit.
Nous sommes le 17 août et en plus de la chaleur oppressante, un climat de peur est descendu sur la vallée tel un marteau sur l'enclume. brutalement. Sans prévenir.
Car un évadé rôde dans la vallée.
Un loup est de sortie.

A suivre...
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Un mur blanc, crémeux, avec une inscription "Interdit de Fumer" apposé en rouge sur la gauche à environ 1 mètre, 1 mètre 50 du sol. C'est la première chose qu'il a vu en ouvrant les yeux. La deuxième chose qu'il est senti, c'est qu'il était sur un lit. La troisième a été celle qui l'a complètement réveillé, une douleur aiguë et perçante au flanc gauche. Ensuite, totalement réveillé, il a pu entendre le ronronnement du climatiseur en marche. A fond.
Malgré tout, son corps baigne dans sa sueur et les draps collés à sa peau le gène car ils sont horriblement poisseux. En faisant attention à son côté, il rabat le drap sur le lit afin de pouvoir examiner sa blessure. Celle-ci recouverte pas un pansement n'a pas l'air de saigner. Il a bien visé finalement. Si elle n'est pas trop grave, elle ne devrait pas trop l'handicaper. Une douleur à la tête le relance méchamment. En portant la main à la tête il constate la présence d'une bosse à l'arrière. Sûrement un cadeau d'un de ses codétenus, ou bien un maton surexcité qui aura voulu en profiter. De toute manière il devra faire avec. C'est pas ça qui va l'arrêter. Pas si près du but.
Reprenant doucement ses esprits, il attend que le tambour qui joue dans sa tête se soit calmé. Il regroupe tout ce qu'il a appris sur l'infirmerie, en attendant ce jour. La disposition des lits, le plan des lieux, le nombre d'infirmiers, de gardiens. Tout revient à sa mémoire comme des bulles d'air qui remonte à la surface de l'eau.
Il se prépare. Il attend. Tranquillement.

Mathew Richardson est né à Applegate, un petit patelin perdu sur la route 238, une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Medford. Ses copains l'ont surnommés Matelas à cause de sa prédisposition à faire la sieste n'importe où et à n'importe quelle heure. Lui ça ne le gène absolument pas. Il trouve même que c'est une qualité de pouvoir dormir quand on veut. Il n'est ni grand, ni petit, juste dans la moyenne. D'ailleurs physiquement il est ce qu'on appelle passe-partout. Effacé, discret.
Ses parents voulaient le voir devenir un bon fermier comme eux et plus tard il aurait pu reprendre la ferme familiale. Mais il a préféré continuer ses études. Après le collège il a décroché une bourse et a pu s'inscrire à la Fac.
Au concours de médecine il a été recalé. Et en désespoir de cause, et surtout parce qu'il ne voulait pas donner raison à ses parents, il s'est inscrit aux cours d'infirmiers. il a finit sa troisième et dernière année d'étude. Le diplôme en poche, il a réussit à décrocher un stage de deux mois à l'infirmerie du pénitencier d'état. Facile. Personne n'en voulait.
Il est dans le cagibi, surnom donné au bureau des infirmiers. En train de relire pour la vingtième fois une revue médicale. il s'ennuie et relevant la tête, il observe les murs de sa prison: le cagibi. Rien n'a bougé, comme il s'en doute. Les murs sont toujours aussi rapprochés, le bureau toujours aussi petit. Les étagères sur le mur gauche et l'armoire à sa droite sont toujours encombrés de paperasses diverses pendantes et jaunies. le calendrier épinglé au mur, sous les étagères affichent encore la double page où se trouve une fille à moitié nue, et surtout les mois de juillet et août qui semblent le narguer.
Plus que quinze jours à croupir dans ce cagibi.
Il a chaud, malgré le ventilateur posé face à lui qui crépite et essaye de refroidir vainement l'atmosphère gluante.
Son collègue, Jim Tenyson, est parti soulagé ses besoins et se rafraîchir aux toilettes. Quand du coin de l'oeil Matt perçoit un mouvement du côté des prisonniers, à travers la baie vitrée en plexiglas renforcé. Il regarde mais ne voit plus rien.
Mais il sent que quelque chose ne va pas. Et qu'il s'agit des détenus.
C'est le dernier arrivage en date. 2 morts, et 8 blessés qui se trouvent en face de lui. 5 le sont grièvement. Résultat d'une bagarre générale dans le réfectoire.
La procédure est simple dans ce cas là: un des infirmier va voir ce qui se passe, armé d'une barre de fer, et l'autre garde son doigt sur le bouton d'alerte. C'est pour ça que les infirmiers ne deviennent que très rarement des copains. Il faut qu'ils soient capables d'appuyer sur le bouton même si les prisonniers menacent la vie du collègue à l'intérieur de la chambre.
Seulement Jim est parti avec un magazine spécialisé pour s'occuper aux toilettes, et il risque d'en avoir pour au moins 20 bonnes minutes. S'il n'y va pas, Jim va encore se foutre de sa gueule comme la dernière fois, où il l'a traité de trouillard. Pour un oiseau de nuit qui s'était perché sur une des fenêtres barricadée. L'histoire avait fait le tour de la prison, et on l'avait affublé de nouveaux surnoms pendant plus d'une semaine.
Prenant appui de sa main gauche sur le bras du fauteuil en cuir éliminé, qui est presque aussi vieux que la prison elle-même, il se relève sans entrain. D'un geste routinier, répété des dizaines de fois au cours des dernières semaines, il sort le trousseau de clefs de l'anneau fixé au mur près de la porte blindée.
Il déverrouille la porte, et entre.
Il est 22h35. Il a oublié de prendre sa barre de fer, pourtant posée bien en évidence sur la table.
Et il va bientôt mourir.

A suivre....
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Bob Fortune
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Jim est enfermé dans les toilettes depuis plus de 20 minutes déjà, en train de s'exciter sur un vieux magazine tout délavé où les filles montrent leur intimité sans entrain. Il n'arrive à rien, pour une fois. Sûrement à cause de la chaleur pesante et asphyxiante qui règne dans la pièce. Peut-être aussi à cause du malaise qui s'est emparé de lui depuis le début de son service à 21 heures.
En sueur, et sans avoir obtenu aucun résultat, il se rhabille. Il rajuste sa chemise poisseuse dans son pantalon. Puis après avoir enlevé le verrou, il sort des cabinets. La lumière crue de l'unique ampoule du plafond l'agresse, tandis qu'il se dirige vers le lavabo. Laissant couler l'eau une dizaine de secondes, afin qu'elle se rafraîchisse, il regarde l'image que lui renvoie le miroir fêlé. Un visage creusé par les rides comme la terre d'un désert asséchée et crevassée par le soleil implacable. 20 ans au pénitencier n'ont pas amélioré son physique. Son front, plissé et déformé par les rides, laisse percevoir le malaise qui l'étreint.
Après s'être rafraîchit le visage et les avant-bras, il referme le robinet. Puis repart par le couloir vers le cagibi.
Après 20 ans de métier, à 45 ans presque révolu, il a tout vu. Sa spécialité, en tant qu'infirmier, ce n'est pas la piqûre ou les bandages, ça non. Sa spécialité c'est la barre de fer. Il aime bien cogné, et il ne s'en prive pas, contrairement au petit jeunot qui fait équipe avec lui. C'est comme ça qu'il s'est fait les muscles. C'est aussi comme ça qu'il a gagné son surnom: le barreur. Il faut dire que certains prisonniers lui doivent d'être passé de vie à trépas. Après lui avoir déplu.
Il a senti le malaise du petit jeune, quand il s'est rendu compte de son vice, quand il l'a vu passer à tabac un prisonnier, comme ça, pour le plaisir. Il a vu les yeux horrifiés de Matt, quand celui-ci a vu la lueur meurtrière et les flammes de folie s'allumer dans ses yeux. Mais il s'en fout. Jamais il ne le dénoncera, car il a trop peur. Comme les autres.
Pour l'instant, ressassant ses pensées, il pousse sa lourde carcasse vers le bout du couloir, vers la porte du cagibi. Il sent en lui le malaise s'amplifier comme si sa tête voulait lui dire de faire demi-tour et de s'enfuir. Mais il n'y fait pas attention et, après un bref moment d'hésitation, il ouvre la porte menant au cagibi.
Tout est normal. Matt est là, assis sur son siège, la tête baissée, en train de relire son magazine. Le ventilateur cahotant fait voleter une mèche trop avancée de sa chevelure blonde. C'est quand il est totalement rentré que le malaise, qui s'était apaisé en entrant, se remet de plus belle à le prévenir. Pourtant tout a l'air normal, l'atmosphère est toujours aussi irrespirable, les étagères croulent toujours sous les imprimés, les clefs sont toujours sur..., non, elles ne sont plus sur le clou, mais sur la serrure de la porte.
Jim sent une rage qu'il connaît bien commencer à l'envahir. Ne tenant pas compte du sentiment de malaise qui le tarabuste depuis un moment déjà, il fait un pas en direction du fauteuil. Il n'a que le temps de remarquer plusieurs choses en arrivant derrière Matt:
La première, c'est l'angle bizarre et inhabituel que la tête de Matt fait avec le reste du corps. La deuxième, c'est l'absence de la barre de fer sur la table. La troisième et dernière chose, c'est le sixième sens de tout à l'heure qui lui signale que quelqu'un est derrière lui. Après ça il ne souvient de rien. Et pour cause, un mort n'a pas de mémoire.


A suivre....
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Jeff jubile. Un tic nerveux déforme le coin de sa bouche. Le rictus laisse voir des dents bien formés, mais mal entretenues, résultat de la prison sans doute. Il est pratiquement libre. Dame chance est avec lui. Il peut presque sentir sa main réconfortante posée sur son épaule, alors qu'il avance dans le couloir. La barre à mine à la main. Il sent son énergie revenir.
Il a presque oublié la chaleur étouffante qui l'empêche de respirer comme il veut. Il a du mal à se calmer. Comme si la mort des deux infirmiers avait réveillé en lui des souvenirs. Il a presque de la peine pour le plus jeune des deux, aussi jeune que lui. Par contre il devait tué le barreur, il le devait. Pour toutes les fois où il avait été humilié. Pour les autres.
Demain, à l'aube, les infirmiers de la relève risquaient d'avoir un choc en voyant le barreur, ou ce qu'il en reste. Le corps posé sur le dos, en travers de la table. La tête, écrasée comme une vieille citrouille, empêche toute identification formelle du visage. Non content de ça, Jeff a trouvé un vieux coupe-papier dans le tiroir central du bureau. Et du plus profond du puits de sa folie il a commencé à le mutiler sauvagement. Comme un poisson, il a ouvert de haut en bas Jim le barreur. Ensuite il a plongé les mains à l'intérieur et arrachant les viscères visqueuses et encore chaudes, il les a jeté au quatre coins de la pièce. Laissant le tas grotesque qui a jadis ressemblé à un être humain, il est parti. Un rictus simiesque défigurait encore son visage décharné.
Bientôt il est libre, après avoir traversé plusieurs couloirs déserts et ouverts les portes fermées, grâce aux clefs trouvées sur le corps du barreur.
Il est 23h37 quand il arrive à sauter par une des fenêtres de l'infirmerie, dehors.

Il court. Il a un plan. Il doit rejoindre la route, la route 234. Les hautes herbes qui entourent la prison le camouflent à la vue des gardiens. Lentement il parvient à la lisière de la forêt qui le cachera complètement.
Il s'arrête pour reprendre son souffle. L'atmosphère lourde d'humidité le fait suer de plus belle. Levant les yeux, il aperçoit le ciel lourdement chargé de nuages noirs, annonciateurs de pluie. Il sourit vaguement, car s'il pleut il sait que les recherches seront plus difficiles. La boue effacera ses traces et son odeur. jamais les chiens ne pourront le retrouver. Il sent que la chance est toujours avec lui, à ses côtés, et qu'elle veille sur lui comme une mère sur son enfant. Et pour la première fois depuis bien longtemps, il sourit vraiment. Et laissant derrière lui la forteresse sinistre, qui se découpe sur la lumière blafarde de la lune levante, il repart.
Et il se souvient.

A suivre....
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C'était l'été dernier.
La même chaleur avait envahi implacablement la ville et la vallée.
Ils venaient d'arriver en ville. Natifs de Newport, ils venaient de déménager suite à l'avancement du père de famille. Journaliste au Daily Newport, il venait d'être promu à la rédaction des faits divers à Medford.
Le dépaysement avait cruellement marqué la famille Stevens. Passer du bord de mer à une vallée encaissée entre deux gigantesques chaînes montagneuses avaient de quoi frustrer tout le monde. Mais Robert Stevens n'avait pu refuser l'avancement qui lui était proposé, et surtout l'augmentation du salaire qui venait dans le même temps.
De fait toute la famille, le père, la mère, les deux fils débarquèrent par un beau matin de Juin, frais et ensoleillé.
Les paquets à défaire, l'installation dans la maison achetée dans la partie haute de Medford avaient tenu occuper toute la famille pendant une bonne semaine environ. Quoiqu'il en soit ils sympathisèrent très rapidement avec leurs voisins, des gens charmants au demeurant.

Le plus vieux des deux fils s'appelait Georges, l'autre Jeffrey. L'un était en deuxième année de journalisme à l'université de Medford. L'autre finissait son collège. En vacances tous les deux ils en profitaient pour faire un peu de sport et découvrirent leur nouvelle ville. Jusqu'en juillet tout se passa parfaitement bien.
Début juillet la vague de chaleur annuelle fut annoncée par la télévision locale. Sans le savoir, tous les vieux habitants de Medford y étaient déjà préparés. Mais les nouveaux arrivants, eux, ne l'étaient pas.
Y compris la famille Stevens.
Et la température humide continua à monter jusqu'à atteindre, vers la mi-août, le sommet faramineux des 40 °C. C'est alors que l'enfer se déchaîna.
Jamais les psychiatres ne purent définir pourquoi le jeune Jeff Stevens avait massacré toute sa famille au grand complet le 12 août, ni pourquoi il avait ensuite emprunté le fusil de son père et abattu toute personne se trouvant dans la rue. Enfants, femmes et vieillards compris. Arrêté par les policiers alors qu'il déambulait dans Ghermanstreet, avec l'air béat d'un enfant qui regarde le ciel sans avoir à se poser de questions sur la vie. Son fusil déchargé pendant inutilement dans sa main. La démarche d'un automate. Les yeux fixaient en clignotant le soleil. La sueur dégoulinaient sur la surface de son visage juvénile. Les bras ballants, il semblait attendre, attendre quelque chose qui ne viendrait pas. La fraîcheur.
Il fut rapidement incarcéré au pénitencier d'état. Et après avoir tué un prisonnier avec ses poings, il passa la fin du mois d'août au mitard. Seul.
Sa folie le quitta début septembre. Quand la vague de chaleur asphyxiante prit fin et se retira de la ville.
Sur son dossier, à son entrée, les psychiatres qui l'avaient examiné l'avaient catalogué dans la famille bien connu des Psychopathes. On avait même marqué Psychopathe à tendance Hystérique. Une bête fauve, quoi.
Aucun des médecins n'avaient faits la liaison entre la vague de chaleur et sa folie furieuse et meurtrière. Tous habitaient Medford ou ses environs depuis des années déjà.

Malheureusement pour lui, après un second examen psychiatrique en mars de l'année suivante il fut reconnu responsable de meurtre au premier degré. Et condamné à mort.
La date de l'exécution fut fixée le 1er juin puis repoussé une première fois au 15 juillet, à cause d'un défaut dans l'installation électrique. Le dernier détenu condamné à mort avait provoqué une surtension dans l'appareillage. Il avait mis 15 minutes à mourir et fait sauté dans le même temps le courant dans tout le quartier nord de la ville.
Finalement la date définitive fut fixée au 15 août.

A suivre...
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Re: Petite nouvelle Chtulienne !

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La route 234 est là devant lui. Long serpent de bitume qui semble dévoré la campagne environnante. Les champs de maïs, sinistre à cette heure de la nuit, ondule doucement dans une légère brise. Vague après vague, le vent part à l'attaque de la chaleur sournoise qui s'est glissé à terre. Rien n'y fait pourtant, comme dans un sauna la chaleur humide et asphyxiante reste tapie entre les tiges dorée des pousses.
Et Jeff attend. Avec la chance accroupie à ses côtés.

Les yeux fatigués par trop de bitume dévoré, Richard Fauls avance sur la longue route, vers sa maison. Petit, gros, les bajoues tombantes sur une moustache nécessaire, il est représentant. Représentant en matériel de jardin. Un métier nécessaire, aime-t-il à dire, à ceux qui le regardent d'un air mi-sérieux, mi-ironique, quand il annonce sa profession.
Il revient de Sams Valley, une petite ville tranquille. Un début d'urbanisation lui a ouvert un créneau. En cette période de crise financière pour l'amérique, et surtout pour son compte en banque, de nouveaux clients potentiels ne se refusent pas.
Un homme sans histoire. Une vie monotone, insipide et sans aventure. Jusqu'à aujourd'hui. Inscrit à l'église protestante depuis sa naissance, il n'a jamais été un pratiquant engagé. Pas comme le révérend Martin qui fait une émission à la télévision locale, et qu'il lui arrive de regarder de temps en temps. Il lui arrive aussi d'aller à l'église, surtout poussé par sa femme, très pratiquante. Les rares fois où il y va, c'est toujours pour demander au seigneur pourquoi il un salaire aussi faible ? pourquoi son voisin James Walker et sa femme gagne plus que lui ? Il n'y va jamais dans l'optique de remercier pour ce qu'il a déjà. Les rares actes de foi et de charité, qu'il a pu jamais faire, se sont toujours limité au strict minimum. Comme de prêter à son voisin son atelier de bricolage quant il en avait besoin, ou encore de d'envoyer un ou deux chèques à des bonnes oeuvres une fois l'an.
C'est pourquoi il est inutile de tenter d'expliquer pourquoi il a fait ce qu'il a fait.
Les yeux rouges de fatigue par trop de marchandages inutiles, il aperçoit brusquement dans la lumière blafarde de ses phares un corps étendu en travers de la route. La route 234 qu'il est obligé d'emprunter pour rejoindre Medford.
Dans un juron, typique de l'ouest américain, il pile au dernier moment, bloquant son pied sur la pédale des freins. Pour éviter de s'arrêter sur le corps, il est obligé de braquer. Provoquant ainsi un dérapage qu'il est loin de pouvoir contrôler. Le vieux Break chevrolet 71, dont la peinture bleue est depuis longtemps un vieux souvenir, chasse désespérément puis finalement s'arrête en travers de la route. Le pneu avant gauche, en l'air de 10 bons centimètres, semble attendre que le conducteur fasse marche arrière. Pour qu'il puisse rejoindre la terre ferme, où il se sentira sûrement mieux.
Richards, la sueur dégoulinant de ses bajoues graisseuses, le coeur battant la chamade, regarde fixement les tiges de maïs ondulées sous le vent. Les yeux exorbités par l'effort de concentration qu'il a du fournir, il tente de se reprendre. Puis finalement, ayant réussi à calmer la tempête qui s'agite sous sa tête dégarnie, il se décide à regarder du côté de la forme étendue sur la route. L'homme, car il s'agit d'un homme, éclairé par la lumière rouge du phare arrière semble inconscient. La figure tourné de l'autre côté lui reste invisible. Les vêtements qu'il porte ont l'air frustre et en mauvais état. Bien malgré lui Richards ne peut pas détaché ses yeux du corps. Et si l'homme était mort ? Et s'il avait besoin d'aide ? sont autant de questions qui assaillent son esprit comme paralysé par l'accident.
Au lieu de faire marche arrière et de repartir comme une infime parcelle de son cerveau lui en intime l'ordre il reste là à regarder. Puis les jambes encore faibles et flageolantes du choc de ce qu'il aurait pu faire s'il n'avait pas vu à temps le corps, il extrait son corps pesant de la voiture et d'un pas hésitant il la contourne. Le coton qu'il a dans la bouche ne l'empêche pas de demander, d'une voix hésitante et aigrelette, si tout va bien, à la forme étendue sur l'asphalte froid et désert de la route. L'homme ne lui répond pas.
D'une démarche grotesque il se rapproche encore.
Et c'est trop tard qu'il se rend compte de son erreur, trop tard après avoir lu sur le dos des vêtements "Medford Pénitencier d'état". La forme, recroquevillée une seconde plutôt, se met en mouvement. Et dans une réaction primitive d'horreur il lève son bras au-dessus sa tête pour la protéger de la barre de fer qui vient de faire irruption dans la main du corps. Il a juste le temps d'entrevoir le visage de son agresseur, blême et défiguré par la folie, avant de recevoir le premier coup sur l'avant-bras. En même temps qu'il crie il entend distinctement un bruit net et écoeurant de craquement qui vient de son bras. Puis la douleur du premier coup atteint son cerveau alors que l'autre continue à le frapper encore et encore.
A terre, il se retourne et, n'essayant même plus d'éviter les coups, il rampe à l'aide de son bras valide en direction de sa voiture. Sa respiration s'est transformée en souffle lourd quasi asthmatique. Ses yeux exorbités viennent de comprendre l'issue finale. Puis un autre coup sauvage l'atteint à la tête, et sentant un liquide chaud et visqueux lui couler dans les replis gonflés de son cou, il tombe dans une inconscience libératrice. Il n'a même pas eu le temps de crier, d'appeler au secours. Et d'abords qui donc l'aurait entendu sur cette petite route déserte de campagne.
Jeff se relève doucement. L'odeur âcre et cuivrée du sang lui remplit les poumons. L'autre n'est plus qu'un tas de chair , de sang et de graisse sur le bitume collant de chaleur et de liquide poisseux. Les yeux fous, Jeff laisse tomber la barre à mine qui a déjà servie deux fois cette nuit. Le tintement, qu'elle produit en tombant dans la flaque de sang qui s'écoule vers le fossé, est lugubre et morbide. Jeff se retient à la voiture en se relevant, laissant derrière lui une trace sanguinolente sur la portière. Reprenant le peu d'esprit sensé qu'il lui reste, il prend les pieds du cadavre de Richard Fauls et, courbé en deux, il le traîne par à coup vers le bas côté. Après l'avoir balancé d'un geste ferme et sur dans le fossé il se dirige d'un pas assuré vers la voiture, côté conducteur. Il s'installe sur le siège et s'en tenir compte du mauvais réglage du fauteuil et des rétroviseurs, il démarre.
Ce jour là Richard Fauls aurait du s'abstenir de vouloir jouer au bon samaritain.
Le vieux break démarre en cahotant comme s'il refusait de se laissait faire si facilement par celui qui venait d'assassiner sous ses phares son propriétaire.
Dans un crissement de pneus usés par le temps et le bitume le break chevrolet rejoint la route puis repart en marche avant sous les ordres de son nouveau maître.
Jeff est rassuré, car il a vu Dame Chance monter à côté de lui avant qu'il ne démarre. Elle est grande, brune, non!, plutôt châtain. Elle est belle. Si belle. Un peu translucide à la lueur de la lune. Mais elle est là, et il sait qu'elle ne le quittera pas. Pas avant longtemps. Elle lui a sourit d'un sourire un peu triste. Cela lui a rappelé quelque chose mais il ne sait pas quoi. Un sourire de fantôme peut-être.
Sans oser regarder à côté de lui, il conduit le break chevrolet vers son destin, vers sa liberté prochaine. Les routes défilent sous le capot rouillé de la voiture. La tête baissée, les yeux levés vers le haut, de temps en temps il regarde se rapprocher les montagnes, les Klamath falls.
La crise est maintenant passée, son sens de la réalité est revenu. Il se rappelle son plan: s'engager à travers les montagnes et plus loin rejoindre la frontière entre l'Oregon et le Nevada. Là-bas il sera tranquille et à l'abri de cette chaleur mouvante et pesante qui vous colle à la peau. Il aura la fraîcheur salvatrice du désert. Il fera sec et frais à l'ombre et non plus chaud et humide.
Il sera libre.


A suivre....
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Bob Fortune
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Re: Petite nouvelle Chtulienne !

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La chaleur est toujours là, alors qu'il a dépassé les Klamath Falls. L'atmosphère est lourde d'humidité malsaine et de sous entendu malveillants. Il approche de Lakeview dernière ville avant la frontière. Il n'a plus qu'un col à franchir avant d'y parvenir. Son passage forcené à travers la ville, à tombeau ouvert, n'a pas l'air de déranger. Ici aussi il y a des moutons. Personne ne le voie, personne ne l'entend.
Il ne le voie pas mais les nuages semblent se regrouper au-dessus de lui comme pour montrer leur désaccord à sa fuite éperdue. Noir comme de l'encre et chargé d'humidité ils planent doucement vers le mont Crâne, dernier obstacle à sa fuite.
Il sent à côté de lui sa Chance s'effacer tout doucement. Se tournant vers le siège du passager, il voit la femme translucide devenir de plus en plus transparente. Et sans un mot pour le rassurer, pour lui dire qu'elle reviendra, elle disparaît à ses yeux fous devenus tristes.
Mais le chagrin laisse vite la place à la haine qui défigure maintenant son visage. Les larmes qui coulent sur son visage crevassé sont des larmes de rage. Tant pis, se murmure-t-il, il peut s'en passer. La liberté lui tend presque les bras.
Et soudain il sent le moteur devant lui frémir et cahoter brusquement. Les yeux fous et injectés de sang il le maudit. Appuyant sur la pédale d'accélération il profite des dernières lueurs de vie de celui-ci. Puis le moteur après quelques hochets désespérés décide de rendre l'âme sur le versant ouest du Mont Crâne, à quelques malheureux kilomètres de la frontière. Le visage et les doigts crispés par la folie qui le reprend, Jeff n'a pas vu la jauge d'essence atteindre le niveau "à sec". De toute manière il s'en fout, et abandonnant la chevrolet sur le bord de la route il commence à gravir le flanc de la montagne.
Il sent sur lui plus qu'il ne les voit tomber les premières gouttes d'eau salvatrices. Les lourdes gouttes d'eau brûlantes le frappent de plein fouet. La chaleur asphyxiante des derniers jours éclate sous l'assaut brutale de la pluie comme un melon pourrissant sous l'attaque des larves de mouche. Comme pour chasser la sueur qui dégouline sur son visage, l'eau coule à flot pour le laver. Pour laver aussi le sang brunâtre qui a séché sur ses mains.
Il entend le tonnerre gronder au-dessus de la montagne, mais n'y prête aucune attention.
Il sent son esprit basculer dans la folie qu'il redoute et qui l'attire malgré lui. Il serait prêt à tuer encore et encore. Mais aucune être vivant ne s'aventure devant lui. Tous les animaux l'évite comme s'il était atteint de la peste. Comme s'il était maudit.
Il voit le sommet se rapprocher. Il doit passer sur sa droite, vers la crête. De l'autre côté il le sait, la liberté, sa liberté, lui tend les bras.
La pluie qui le sauve de ses propres traces lui rend aussi la course plus difficile. Il doit éviter les ruisseaux et les torrent furieux qui se forment dans les ravins et les fondrières. Par deux fois déjà, l'eau qui lui coule dans les yeux a failli l'aveugler au point de ne pas voir des crevasses que la montagne a posé comme autant d'obstacle pour le tuer.
Il sait que la montagne n'est pas avec lui. Qu'elle est maintenant son ennemi comme Matt, Jim ou Richard. Il ne peut pas la tuer, il ne peut pas la serrer dans ses mains puissantes, ni lui écraser la gorge de ses doigts noueux. Alors en la maudissant à hautes voix il courre.
Et dans sa folie dont il ne reviendra jamais il entend.
Il entend derrière lui des bruits, des bruits de poursuite.
Il entend les chasseurs se rapprocher. Des flics sûrement. Pourtant ils n'étaient pas là un instant plutôt. Mais maintenant ils sont là, derrière lui, à le chasser. Et il sait qu'ils ne le ramèneront pas vivant, plus maintenant. Pas après ce qu'il a fait aux leurs. mais il s'en fout, il doit survivre. Il doit les battre. Et il continue à monter encore plus haut vers la crête.
Il voit les cônes de lumière de leurs lampes torches balayées le flanc de la montagne. Il les entend crier comme des enfants dans une partie de cache-cache. Il entend les jappements des chiens qui ont retrouvés sa trace, et il sait qu'ils vont bientôt le rattraper. Il a entendu à la prison les histoires des détenus. Il sait que certaines fois les prisonniers évadés ne sont pas retrouvés mais que les matons partis à leur poursuite reviennent le sourire aux lèvres. Il sait ce qu'ils leur font avec les chiens.
Et comme il n'a pas envie de finir acculé dans un coin avec 5 chiens sur lui en train de le dévorer vivant, il accélère le rythme. Même s'il sent son souffle raccourci par l'effort et un poing de côté se former dans son flanc droit. Même s'il sent la brûlure de sa blessure rouverte au côté gauche, et le sang chaud et visqueux qui s'en écoule. Il doit accélérer pour arriver au sommet.
Les vêtements déchirés par les buissons d'épineux et les nombreuses chutes, il poursuit. Les membres éraflés et les doigts gourds il continue à courir. Penchés sur le côté gauche pour soulager sa blessure il attaque la dernière montée avant d'atteindre la crête. Derrière lui les bruits de poursuite acharnées se sont amplifiés démesurément comme pour le forcer à se dépasser et à atteindre le sommet.
Et finalement débouchant hors d'haleine d'un groupe de pins il déboule sur la crête.
Celle-ci mesurant à peine 5 mètres de large se continue du côté droit vers le bas, et du côté gauche vers le sommet du Mont Crâne. La majesté de panorama qu'il découvre en y arrivant ne lui échappe pas et bouche bée il s'avance doucement vers l'autre bord. Les deux mains crispés sur son flanc gauche il embrasse de ses yeux le décor. Puis soudain il se retourne, car son sixième sens le prévient que quelque chose ne va pas.
Il manque quelque chose.
Oui, il n'entend plus les chiens qui le poursuivent, il ne voie plus les torches menacer de leur lumière crue sa silhouette. Le silence s'est soudainement abattu sur la crête et sur la montagne.
En face de lui parmi les buissons rêches qui parsèment le sommet il renifle et sent une chose arriver. Et doucement devant lui réapparaît sa Chance, Dame chance. Elle apparaît doucement devant lui comme pour ne pas l'effrayer. Elle est belle, si belle avec ses cheveux châtains, son visage ovale si délicat et si pâle. Ses traits semblent rayonner vers lui comme pour lui dire de s'approcher. Et doucement elle lève les bras, laissant apparaître sous les plis amples de sa robe blanche des mains délicates et sensuelles. Celles-ci se tendent vers elle dans une invite qu'il ne peut refuser.
En s'approchant d'elle il sent sa folie le quitter. Il sent sa joie le recouvrir entièrement alors qu'il fait les quelques pas qui les sépare. Il n'entend plus que son coeur calmé battre dans sa poitrine. Et lâchant son flanc endolori, qu'il ne sent déjà plus, il tend ses mains rugueuses et froides vers elle. Oubliant ce qu'il est et ce qu'il a fait il prend ces jolies mains dans les siennes. Se rapprochant encore d'un pas, il sent son souffle léger se poser sur son visage. Bientôt il l'étreint et la serre doucement contre son coeur. Des larmes de joies coulent sur son visage alors qu'elle le regarde pleuré sereinement.
Puis il sent un changement dans son attitude alors qu'il a enfouit sa tête contre son sein protecteur, afin d'être pardonné de ses fautes.
Il la sent se raidir et le serrer plus fort encore. Il la sent grandir. Et relevant la tête il voit son visage si doux se transformer lentement sous ses yeux. Il voit les rides le remplir et le défigurer. il voit un rictus mauvais se dessiner sur les lèvres desséchées de la chose qui se trouve devant lui. Il voit les cheveux, si beaux un instant plus tôt, se transformer et s'envoler comme pour entourer le visage haineux. Il les regarde se couvrir de terre comme un cadavre sortant d'une tombe. Il voit la terre dégouliner sous la force de l'eau qui tombe. Il voit la boue glisser et souiller la robe blanche, qui elle-même se déchire laissant entrevoir une chair putride et envahie d'asticots qui la percent de toute part. Il voit la chair morte tomber en fragments épais et pourries par terre.
Et avant qu'il est pu faire un mouvement de recul, il voit la tête de la chose se lever vers le ciel orageux. Suivant son regard il découvre la multitude de nuages bloqués au-dessus de sa tête. ceux-ci noirs et malfaisants semblent attendre. Attendre, mais quoi.
Comme dans un cauchemar il regarde la chose purulente qui se trouve devant lui. Elle lève brusquement les bras au-dessus de sa tête comme pour appeler la pluie.
Et Jeff sent la pluie redoubler violemment. Il perçoit du coin de l'oeil des scintillements bleutés sur la crête.
Avant qu'il ne puisse réagir, il sent ses cheveux se dresser sur la tête. Et poussant le cri de désespoir et de haine de l'homme privé de liberté, il comprend. La folie et la haine reprenant le dessus il tend ses mains afin d'étrangler la chose qui l'a amené dans un piège. Mais il n'a pas le temps.
L'éclair, parti de l'amas de nuage noirs, zèbre le ciel sans étoiles et arrivant en bas l'atteint de plein fouet. En l'espace d'une fraction de seconde le corps de Jeff s'embrase et se consume en grésillant sous la pluie. Se recroquevillant sur lui-même, Jeff s'abat sur le sol meuble de la crête.
Bientôt il ne reste plus qu'un tas de cendres délavées par la pluie qui sont balayées au gré du vent qui vient de se lever. Les nuages noirs, qui se sont amoncelés au-dessus du faîte de la montagne depuis le début de la soirée, commencent à se disperser sous l'effet d'un vent bienfaiteur.
L'orage se calme, la pluie décline en puissance pour finalement s'arrêter. Le soleil profitant de l'aube jaillit de l'horizon pour jeter sur la montagne les premières lueurs d'un nouveau jour.

Il n'y a plus rien sur la montagne. Les oiseaux pépient. Des cris d'animaux retentissent un peu partout dans les bois.
Et la jeune fille, dans sa robe blanche, caresse les feuilles d'un arbrisseau qui commence à pousser sur la terre meuble de la crête. Puis, avoir jeter un dernier regard sur la clairière qui se regarnit en arbres, elle commence à disparaître doucement comme aspirée à travers la terre de la crête.
Et la montagne est calmée.


FIN !
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yoman
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Re: Petite nouvelle Chtulienne !

Message non lu par yoman »

Merci le Guy.
L'Honneur, c'est ce que l'on ne peut vous prendre et ce que l'on ne vous donnera jamais...

Comment savoir que tu en as?

Ne t’inquiètes pas de cela. Cela grandit en toi, et cela te parle. Tout ce que tu as à faire c'est d'écouter.
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